De l'écriture personnelle
Trop longtemps j'ai laissé ce blog à l'abandon, alors que trop longtemps j'ai eu des choses à dire. Cheesy.
D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours adoré l'écriture. C'est comme ça que j'ai commencé l'informatique. Une dizaine d'années, un document Word, et c'était parti pour une multitude d'extraits, juste quelques lignes à chaque fois, quelques mots. Ici, une micro-nouvelle avec un rebondissement surprenant. Là, une formule qui provoque un soulèvement inopiné de sourcils ou un écarquillement oculaire involontaire. Toujours une signature qui suggère qu'il s'agit d'un extrait d'un livre plus long, plus complet, jamais écrit. Une idée empruntée au design des cartes Magic The Gathering, et leurs extraits toujours et mystérieusement incomplets.
Puis l'écriture m'a servi comme outil thérapeutique. Enclencher la méta-cognition, prendre du recul, mettre à plat la mélancolie pour mieux la mettre à bas. Alterner les rôles de la complainte entière et décomplexée, et celui de l'ami·e qui la questionne et l'absout. Se forcer à écrire beaucoup pour que les pensées noires généralement évitées aient l'opportunité de ressurgir. Contrairement à d'autres méthodes cathartiques, comme la pratique musicale, la friction est minimale : tant que traînent, à proximité, un clavier et la machine qu'il alimente. Ou pour les plus low-tech d'entre nous, le vieux Bic que l'on avait oublié, et le vide serein d'une page blanche. Parfois je me surprends au rêve dactylographique d'une machine à écrire, fantasmant les cliquetis abrupts qu'imitent maladroitement mes claviers mécaniques ; ignorant sciemment l'entretien que nécessite cette complexe horlogerie.
J'ai tellement épuisé cet usage que j'en ai oublié les autres aspects de l'écriture. Le plaisir d'écrire, pour raconter l'histoire de soi ou celle des autres. Parfois mentir aux lecteur·ice·s. Pour émouvoir sans autre fin que d'émouvoir. Pour la joie coquette de peaufiner une formulation, de sélectionner pointilleusement le mot parfait, l'idiome pas idiot qui y donne l'idée idéale.
J'ai oublié le partage par l'écriture, des connaissances, des expériences, des ressentis. Même quand on relit sur un sujet connu, parfois une formulation différente va résonner en nous et provoquer l'eurêka tant espéré ; ce serait dommage et vain de se contraindre à écrire uniquement l'inédit. J'aimerais écrire ce que j'aurais aimé lire plus jeune : en finir avec le syndrôme de l'imposteur, proposer des recommandations des médias que j'ai appréciés les années précédentes, (faire) découvrir la neuro-diversité en français dans le texte, écrire la critique d'une œuvre consommée récemment, en tentant d'y instiguer plus de profondeur qu'un prompt jugement manichéen, simplement partager des extraits qui me touchent. Écrire sans enjeu, sans garantie de qualité ou de résultat, as is comme aiment à le clamer les licences libres, sans s'imbiber de la pression sociale des réseaux asociables. Le prochain Pullitzer ne sera pas un article de blog, et c'est : O.K. Fracasser la barrière à l'entrée est libérateur.
Alors je tente l'expérience de remettre l'écriture au centre de ce blog. Probablement, certain·e·s ne s'y reconnaîtront pas, et ce n'est pas grave. Pour d'autres, ce serait l'occasion de briser la glace derrière l'écran, et de se tendre la main.
J'espère vous avoir enthousiasmé avec cette volonté de renouveau, pour vous également. J'ai une seule délicate demande : si vous vous étiez arrêté d'écrire par peur que ce ne soit sans intérêt, je vous incite/invite à recommencer. Que l'on remette l'écriture personnelle au cœur des blogs, que l'on retisse un réseau social désuet à base de chaînes de liens et d'échanges de bannières, que l'on s'abonne aux infatigables flux RSS, que l'on savoure nos écritures, que l'on s'échange des pensées vagabondes, et que l'on échappe aux enclos numériques de ces géants qui nous appâtent pour mieux nous dévorer.