Une rétrospective colorée de 2023
Une période calendaire se termine ; et même si le temps n'est qu'une arbitraire abstraction utile comme contrat social, laissez-moi me prêter à cet exercice facétieux de la rétrospective annuelle. Plutôt qu'une répartition par catégories de types ou de genres, je fais le choix de voir, pour ce qui relève du personnel, 2023 comme une année de renaissance, de redécouverte des émotions, de réaffirmation de ma propre puissance nietzschéenne (ça commence fort). La lente sortie d'une période sombre et grise, pour réapprendre le goût des couleurs. Voici donc quelques couleurs qui ont teinté 2023. Comme l'année dernière, ce ne sont pas nécessairement des créations datant de cette année-là ; il s'agit de l'année de leur découverte cependant.
L'orange et le rouge de Petite Plume
Une découverte que j'attribue à Maiwann, Petite Plume est une bande dessinée en deux tomes, écrite par Lyne Hehlen, aka ly boo. On y partage le vécu, de l'enfance à l'âge adulte, d'un garçon de lignée royale, destiné à gouverner, et dont la famille est frappée d'une mystérieuse malédiction. Pas du tout naïve, l'histoire nous y parle beaucoup du masque des apparences, de l'injonction de se conformer aux attentes des autres, du manque de place pour s'affirmer soi-même, être soi, de la difficulté d'assumer la puissance de sa propre identité. Outre l'histoire que j'ai appréciée pour ces sujets, j'ai surtout été touché par cette peinture numérique, aux couleurs saillantes et intenses. Et qui alterne avec des planches entièrement dessinées aux crayons pastel (mais je n'y connais rien, donc aussi bien je suis à côté de la plaque), invoquant la candeur, la simplicité, l'enfance, tout en me rappelant la brutalité de l'épopée Blast. Parfois je suis resté béat devant une planche, de par la chaleur de ces couleurs presque saturées, toujours chaleureuses. Une très bonne expérience sensorielle. Le tout se lit en ligne ici, il y a eu quelques impressions mais je ne les vois pas sur la boutique en ligne de l'autrice, que je recommande par ailleurs pour ses prints délicieuses.
Le doré dans This is what ____ feels like
Découvert grâce à mon nouveau prof de chorale de cette année (merci !), JVKE est un chanteur de pop qui, à premier lieu, ressemble exactement au type à produire de la soupe mainstream avec laquelle les radios nous étoufferaient jusqu'au foie gras. Et c'est probablement le cas, dans une certaine mesure ; je ne l'ai pas entendu sur les radios françaises, mais les pratique-je tant que ça ? Or, quand on écoute l'intégralité de l'album This is what ____ feels like, on découvre l'histoire complète d'une personne qui tombe amoureuse, s'exalte de cette nouvelle relation, découvre la trahison, sombre dans la tristesse, puis petit-à-petit s'en défait pour finalement re-découvrir cette euphorie amoureuse. This is what falling in love feels like commence par une introduction orchestrale, chatoyante, digne d'un Disney (dixit Adrian), puis dérive sur une pop d'abord lancinante, puis dansante. I'm not okay m'évoque toutes les étapes de l'introspection, de la dissection des faits à la conclusion éponyme, en passant par une palette complète d'émotions, brillamment retranscrites musicalement. ghost town parle de la relation ambiguë avec un lieu où les souvenirs sont trop envahissants pour y rester, sentiment que je ressens pour la ville dont je suis originaire. I can't help it fournit une conclusion extrêmement positive, joyeuse, et grandiloquente à cette épopée romantique, avec un refrain qui pourrait rester en tête pendant des heures, si ce n'est des jours. Mais ce qui m'a fait choisir ce titre, c'est le titre golden hour, un titre imposant de prestance, qui démarre par une mélodie de valse (?) jouée au piano, puis propose une montée en puissance orchestrale et vocale, épique, onirique, intense en émotions. Bref, tout l'album vaut le coup, et s'écoute rapidement, au vu de la courte durée de chaque titre. De par la palette d'émotions, j'aurais pu nommer ce paragraphe L'arc-en-ciel, mais l'hypothétique lobby LGBT ne m'a pas envoyé de pot-de-vin suffisamment convaincant pour en arriver là.
Tout le pastel d'Asteroid City
Un père et ses quatre enfants arrivent et séjournent dans Asteroid City, une ville au milieu du désert, le temps que leur voiture soit réparée, avant de reprendre la route pour rejoindre le grand-père des petits. Plusieurs hics : la mère est morte et les enfants ne le savent pas, beaucoup des personnes présentes à Asteroid City sont des personnages retentissants, et un alien se pose pour effectuer quelque action surprenante, sans que personne n'y comprenne rien.
Les films de Wes Anderson sont particulièrement satisfaisants pour mon esprit surchauffé et à l'attention vacillante. L'esthétique pastel toujours présente qui rend l'intégralité parfaitement douce et surréaliste, une écriture des dialogues perpétuellement délicieuse avec une diction qui supprime presque toutes les espaces de silence sans qu'il n'y ait jamais d'interruption, un casting qui transmettrait le syndrôme de l'imposteur à n'importe quel réalisateur de films Avenger™, cette capacité à entremêler et imbriquer les histoires les unes dans les autres comme dans un Pulp Fiction. Bref, tout est là, comme d'habitude pour tous les films récents de Mr. Anderson que j'ai vus depuis Grand Budapest Hotel, c'est brillant du début à la fin. Mon seul reproche à sa cinématographie serait que son intensité est telle, que le retour au monde réel pique un petit peu, de par sa lenteur, son ennui, ses personnages attendus et son gris.
Le violet et le bleu de Sayonara Wild Hearts
Éteinte depuis la mort précipitée de la série des Guitar Hero, ma flamme pour les jeux musicaux ou dit « de rythme » s'est ravivée depuis la découverte de Rhythm Doctor il y a quelques années, par l'entremise de l'excellent magazine Canard PC. Sayonara Wild Hearts, découvert grâce à Maiwann (merci 🫶), est un jeu d'arcade disponible sur Nintendo Switch. La narration y prend une place très importante : la protagoniste commence avec le cœur brisé, l'entraînant dans un puits sans fond de tristesse, dont on va l'aider à se dépêtrer, principalement en combattant (mais pas que...) ses propres démons intérieurs. On appréciera la voix off de Queen Latifah en tant que conteuse. L'environnement s'avère onirique grâce à une forte mystique évoquée par des divinités de ce monde intérieur, la présence de tarots, voire quelques évocations d'astrologie. La bande-son consiste en une très grande piste de synth-pop / glitch, douce et chaleureuse, qui nous accompagne, rythme les niveaux et à l'occasion, justifie quelques quick time events. Côté gameplay, la caméra passe son temps à nous faire valser dans toutes les directions, et il s'agit tantôt d'un jeu de course en vue troisième personne, et aussi d'un jeu de moto, de voiture, de conduite aérienne, de combat, parfois en vue à la première personne, parfois vu d'en face, parfois en 2D. J'ai été constamment surpris de toutes les manières dont le gameplay se réinvente, d'un niveau au suivant, pour ne pas nous laisser nous ennuyer une seule seconde.
Mais surtout, si Sayonara Wild Hearts a sa place dans cette liste, c'est par son esthétique low-poly baignant dans un océan de fuchsia, bleu, violet, rose, intensément entrecoupé de tons plus clairs et plus discordants, du jaune au blanc. Bien que l'histoire soit relativement courte, et le nombre de niveaux donc limité, j'en suis ressorti sensoriellement émerveillé, et ragaillardi par cette démonstration efficace d'un retour progressif à la surface. Et si l'on souhaite y passer plus de temps, un ensemble d'achievements sous forme d'énigmes se débloque une fois l'histoire passée, étendant largement la durée de vie totale à de longues heures de plaisir. Gros coup de coeur vidéoludique de cette année, donc.
Les challengers
Le violet d'À propos d'amour
Venant clore un cycle de lectures et de podcasts sur les relations interpersonnelles, ce livre écrit par l'autrice afro-féministe bell hooks, à la couverture violette dans sa réédition, a été un plaisir, un bouleversement, un cours magistral, une pièce journalistique qu'on lit avec un café et beaucoup de plaisir, un témoignage sans présomption autoritaire. Qu'est-ce que l'amour ? Pour pouvoir le pratiquer vraiment, autant faut-il pouvoir commencer à pouvoir le définir. Mériterait un article entier à part ; non pas que je vous garantis que ça arrive.
La peinture multicolore de Zom 100 - Bucket list of the dead
Mon fournisseur officiel de recommendations d'animes Nox a encore déniché une petite perle. Dans un futur proche, une classique maladie de zombies infeste le monde et tout le monde se transforme petit à petit. Le héros se retrouve projeté au milieu de ça, et met un peu de temps à s'en rendre compte, du fait qu'il est complètement épuisé et aliéné par son travail, et se comporte donc lui-même comme un zombie. Une fois convaincu qu'il sera transformé lui aussi en zombie un jour, il établit une liste des choses à faire avant de devenir un zombie, pour le meilleur et pour le pire. Point esthétique pour le sang des zombies, toujours de couleurs très vives, formant des hémorragies multicolores très vivaces. Une critique assez directe du capitalisme, et une série tranche-de-vie / coming-of-age très satisfaisante et feel good.
Chez les ami·es
L'état de l'Adrian en 2023, qui a l'outrecuidance de citer le livre How to read smart notes comme son favori de l'année, sans mentionner que je lui ai recommandé 😠😗. Les jeux 2023 de Marien.